Que de sottises on peut lire sur le sujet de l'angoisse du discours ! Ou entendre dans des vidéos atteignant des millions de vues.
C'est une angoisse classique dans le monde des stars et des politiques. C'est la même que celle de l'entretien d'embauche, ou du grand oral de l'ENA, c'est toujours cette idée qu'on va devoir s'exprimer et que c'est intimidant.
L'angoisse d'avoir à faire un discours, que nous appelons angoisse du discours, est la plus célèbre et en même temps la moins criée sur les toits.
On l'appelle la glossophobie (les professionnels adorent se donner pour cultivés en recourant au grec ancien, rien n'a changé depuis Molière). Mais on va rester simple et parler d'angoisse du discours.
Les âneries courantes qu'on trouve sur le net
Sur ce sujet, il y a des tas de propositions et des vidéos sur le net, qui vous disent certaines choses parfois... trop évidentes : tout le monde peut y penser. Mais aussi hélas des âneries assez cocasses. Par exemple, un "coach en communication" prétend que la crainte de parler en public viendrait... d'il y a 20 ou 30.000 ans (on n'est pas à 10.000 ans près...), époque où l'on vivait "en tribus" et où parler engendrait des risques sur sa vie. Le type qui proposait de changer la stratégie guerrière était incompris, on pensait qu'il sous-entendait que le chef était un incapable et, tacitement condamné par l'assemblée, il se retrouvait empalé sur la colline au-dessus du village. Ce serait "ancré en nous", finalement, ce serait "un inconscient collectif" préhistorique...
Vaincre l'Angoisse du discours serait vaincre 30.000 ans d'Histoire génétique... bon courage !
Bon courage en effet, car 20.000, ça fait 800 générations d'ancêtres !
Mais revenons au sérieux. Il faut quand même pas mal de cran pour balancer de telles hypothèses, à notre avis. Rien que d'affirmer des choses loin d'être prouvées à des gens angoissés, c'est déjà assez douteux.
Mais faire remonter l'angoisse du discours aux calendes sumériennes, c'est tenter le championnat du monde de la niaiserie à roulettes. D'abord, comme de grands ethnologues l'ont démontré, on tuait moins en ces temps-là qu'aujourd'hui, parce que le pacte social était beaucoup plus fort. Se représenter nos ancêtres en brutes épaisses ayant la manie du pal, c'est simplement montrer les ténèbres de ses connaissances à ce sujet. On parlait plus aisément il y a 20.000 ans qu'aujourd'hui, sans le moindre doute, et l'Antiquité a été le temps des grands orateurs. On se la représente comme un tirage au sort constant alors qu'elle était infiniment plus stable, y compris du point de vue de la Justice.
Mais ensuite, n'y aurait-il pas eu, entre temps, mille occasions de se taire, ou de périr ? A la Libération, mieux valait ne pas souffler mot au sujet des "libérateurs" amis de Moscou ; en 1915 il ne fallait pas trop parler de désertion, surtout si on était breton; à la Révolution, on n'avait pas intérêt à parler en mal de Marat ou même de coller des timbres révolutionnaires de travers sur l'enveloppe. Deux cent mille personnes ont été exécutées entre 1789 et 1799, 99% d'entre elles étant innocentes du moindre délit. Ces craintes ont bien dû étouffer celles d'il y a 30.000 ans, non ?
Même à supposer qu'il y ait un gêne de l'angoisse préhistorique...
Et puis, à supposer que les gens des tribus ont attrapé un gêne de l'angoisse de la harangue, où serait passé le gêne du chef de tribu qui adorait parler au village ? Et celui du barde ? Et celui des prêtres ? Et celui des guerriers revenant vainqueurs des combats, des chasseurs revenant triomphalement des chasses, et des seigneurs annonçant de nouveaux grands travaux d'assèchement ? Et celui des prophètes, des montreurs d'ours, des artistes ou déclamateurs de toutes sortes ? Non, pas de chance, vous héritez des mauvais gênes, ceux de la populace qui ne faisait rien. Pas de pot ! vous étiez déjà un prolétaire au temps de la Préhistoire.
Faire remonter une angoisse à de prétendus gênes préhistoriques, est d'un ridicule achevé et montre à quel point les conseilleurs auraient à travailler le sujet, spécialement en ce qui concerne le cerveau, la transmission des savoirs, des sentiments, des réflexes sociaux, des craintes mêmes.
L'angoisse n'est pas dans vos gênes, on n'en a jamais trouvé trace. Qu'il y ait des atavismes, sans doute. Qui sont perçus tout au long de l'existence, spécialement dans l'enfance où prendre la parole a exposé à quelques remontrances.
Une évidence oubliée...
Mais il y a surtout ce fait qui apparemment n'a pas effleuré ces professionnels du conseil et du "coaching", que le trac vient essentiellement du fait que la personne n'a jamais pris la parole en public, ou trop peu. Tout simplement.
Vous avez la trouille de votre futur oral ? Normal : vous n'en avez pas assez fait.
Le journaliste qui en est à sa 20ème année de télé n'a plus ce trac, il en a d’autres (la crainte d'être viré, par exemple, à cause des dernières élections, victime du jeu de chaises musicales parce que les "humanistes" qui ont gagné n'ont pas l'intention de laisser en place des journalistes du régime précédent...). Le journaliste n'a pas l’angoisse du discours. Et le politicien qui monte sur l'estrade du congrès annuel du parti qu'il a fondé non plus.
Ensuite, les solutions qui sont proposées, qui ne sont pas toutes sottes, oublient la première étape, nous vous en reparlerons.
Mais quelle est cette angoisse, au juste ?
Elle se rapproche bien sûr du trac et de toutes les angoisses liées à la peur de la prestation en public, du public en général. C'est la catégorie des angoisses liées au regard des autres, mais aussi celles des prestations (spectacles, journal télévisé, enregistrement en studio etc.).
Angoisse du discours : un classique
On peut dire que c'est vieux comme les premières assemblées. L'angoisse du discours a existé avec Abraham, Moïse, Socrate, Avéroès, César, elle a étreint les candidats à l'Académie française ou les créateurs de partis politiques. Elle existe toujours, malgré quinze mille ans d'expérience.
Un film remarquable en parlait. C'est "Le Discours d'un Roi", qui raconte combien George VI a dû se battre pour arriver à parler, lui qui vivait le cauchemar du bégaiement et de la peur - qui sont souvent liés.
On ne va que rarement jusqu'à cet exemple archétypique, situation de contraste extrême entre l'obscure incapacité à parler et ce personnage royal, exposé à la lumière, qui est dans l'obligation de parler publiquement.
La constante du blocage
Mais il y a une constante que tous les politiques ont connue, à l'heure du grand saut au Journal de 20 heures. Que tous les comédiens ont connu, toutes les danseuses étoiles, tous ceux, en un mot, qui ont affronté un public. Une expérience que nous avons connue nous-mêmes.
C'est la constante du blocage ou du quasi-blocage, qui vous dépouille de vos facultés. Vous qui êtes enjoué, qui avez une aura, vous semblez à vos yeux terne, coincé, timide, hésitant, bégayant, maladroit, bref, tout ce que vous ne voulez pas être.
Ce qu'on ressent, c'est au dernier moment l'envie de ne pas y aller, que ce soit reporté, qu'il y ait une panne. C'est la vue qui baisse en périphérie. On ne voit clairement qu'au milieu de notre sphère de vision. Sur le plateau, le journaliste qui nous interviewe semble le seul élément du décor, on ne voit rien d'autre (d'autant que les spots vous éclairent en pleine figure). Sur scène, le public est presque invisible, le décor aussi, on voit plus ou moins son partenaire, on voit très bien ses mains et on s'entend parler comme si notre voix était amplifiée. On se trompe d'ailleurs et en général on ne parle pas assez fort ni clairement. Il est indispensable de travailler l'élocution.
Combien de fois ?
Ce travail de répétition doit être technique. N'y mettez pas forcément toutes vos intentions, car il faut conserver de la fraîcheur. Un texte trop travaillé, ça fait récitation. Il faut donc travailler la technique et non répéter son texte en tentant d'y mettre trop d'intention. Gardez la fraîcheur de ces intentions.
Ne pas confondre travail technique et répétition des sentiments
C'est l'erreur que commettent de nombreux comédiens : ils répètent leur texte 100 fois et... perdent leur spontanéité. Il faut être fort pour réussir à revenir dans le rôle le moment venu, c'est un métier.
Il s'agit de parer aux problèmes techniques.
A la télé, on a la gorge qui s'assèche, le ventre qui se noue, l'obsession du message à faire passer et les mots qu'on essaie de mémoriser mais qui semblent tout d'un coup simplistes ou ridicules. Il y a là un travail à faire aussi pour être compris.
- Voir Comment vaincre l'angoisse d'être incompris (article en cours de rédaction)
Il y a bien sûr des solutions à cette expérience qui vous paraîtra d'abord désagréable puis se révélera ensuite vivifiante.
Car la réussite couronne souvent ce passage. On a réussi, et on n'en est pas mort. On est comme toutes ces célébrités qui passent à la télé, ou qui font des discours. Ça nous rend fier.
Certes, on a été figé, peut-être même un tantinet ringard. Mais ça va s'arranger. Du moins, on l'espère.
Ce fut une réussite contre soi. Cependant, on se rend vite compte, aux réactions, qu'on n'a pas forcément été extraordinaire, ou qu'on a oublié des choses.
Et puis, la fois suivante, on retombe dans l'angoisse. On n'y arrivera pas. L'expérience a été trop dure.
- Voir aussi L'épreuve renouvelée, remède excellent contre l'angoisse de l'inconnu (article en cours de rédaction)
Les solutions pratiques
Nous voyons sur ce site comment vaincre cette Angoisse du discours qui est une angoisse conditionnelle. Mais nous pouvons vous donner quelques trucs accessibles, qui ne constituent pas de grands secrets mais qui fonctionneront bien.
La dimension de la préparation physique est cruciale car évidemment, si vous êtes épuisé, le trac augmentera. Le cas échéant, si vous êtes en état de fatigue, ralentissez votre débit et exploitez cette fatigue comme étant un état spécifique qui réclame de l'attention, de la bienveillance, amenez l'auditeur à être plus à l'écoute, en employant plus de douceur. Ou au contraire, si telle est votre volonté, rassemblez vos forces et choisissez un registre énergique, l'énergie du désespoir.
Il y a bien sûr le grand truc que nul ne doit ignorer et dont nous parlons dans notre accompagnement. Mais outre cela,
avant ce fameux jour:
- Travaillez à maîtriser votre sujet, votre texte, de façon à ne pas être piégé. C'est le B-A-Ba, car on n'est pas censé s'exprimer si l'on ne sait rien, ou peu de choses. Si c'est votre cas, n'y allez pas, tout simplement, ou abrégez sur les quelques points sûrs.
- Connaissez les grandes articulations de votre topo, que ce soit clair dans votre esprit. Écrivez-le, réécrivez-le par cœur.
- Filmez-vous. Mais pas seulement une fois. 10 fois s'il le faut, car c'est en pratiquant que vous vous améliorerez.
- Répétez votre prestation devant des proches, des amis. Des proches pas trop proches non plus (évitez votre femme ou votre mari).
- Prenez de la distance au texte quand vous commencez à maîtriser : ménagez-vous des fenêtres d'improvisation (pas trop osées, pour éviter le piège évoqué en n°1).
Le jour même
- Le jour venu, ne vous isolez pas dans une solitude effrayée. Évitez cependant les fâcheux et les gens que vous n'aimez pas, évitez les gens qui vont embrouiller votre esprit, isolez-vous d'eux, s'ils sont là, avec de la musique au casque.
- Vous pouvez vous préparer en écoutant, justement, des morceaux de musique que vous aimez et dont vous allez vous imprégner.
- Dominez votre public en regardant chacun.
- Souriez ou ayez la physionomie du discours.
- Sachez faire des silences. Ceci amène l'auditeur à l'écoute.
- Employez des questions, du mystère.
- Annoncez des réponses pour la fin ("Tout à l'heure, je vous dirai pourquoi...", "On verra tout à l'heure, à la fin de mon petit speech, pourquoi les gens...")
- Sachez accompagner le texte avec de bons mouvements du corps, pas exagérés, pas forcément "à l'italienne", mais montrant que vous tenez les rênes de votre propre équipage. On appelle ça le langage corporel, mais n'y voyez pas de solution figée, certaines personnes sont fascinantes parce qu'elles bougent très peu, voire pas du tout. A vous de jouer avec votre personnalité.
- Ne surjouez pas, en faire trop est toujours nocif. Si vous êtes limité par votre timidité, vous pouvez en dire un mot.
- Ayez conscience que vous allez vous chauffer, comme une machine, et que vous allez devenir de plus en plus fort. Comptez donc sur la croissance de votre intensité.
Comment ne pas se laisser enfermer par l'Angoisse du discours
Il est extrêmement difficile de ne pas se laisser coincer, comme avec toutes les angoisses. La plupart du temps, il faut se faire accompagner, tout en récupérant la forme physique la meilleure possible. Il faut se couper des nouvelles, éviter de prêter l'oreille aux mises en garde: "Tu vas te planter, c'est très difficile, tu risques de te couvrir de ridicule" ou au contraire "tu vas bien marcher, ça va bien se passer" qui sont tout aussi angoissants. En fait, il ne faut pas parler de cette échéance. Il faut simplement se préparer. Il faut se préparer en soi, et non pour l'échéance, qu'il faut essayer d'oublier. Comme le boxeur qui est concentré dans sa préparation jusqu'au moment où il met le pied sur le ring. Il importe de penser à l'échéance le moins possible.
Vaincre l'angoisse du discours, c'est d'abord ne pas penser au jour de ce fameux discours (ou de cette représentation théâtrale, ce meeting, cet événement...).
L'essentiel en béton
Il faut également dégager dès le départ les éléments essentiels que vous présenterez. Si c'est un discours, quels sont les points-clés d'une part et quels sont les trucs sympas qui vont le rendre accessible d'autre part. Si c'est une pièce de théâtre que vous interprétez, qu'allez-vous faire sur scène, quelles seront vos émotions etc.
Pensez ensuite, assez tôt, à votre aspect physique, qu'il s'agit de ne pas improviser la veille.
Voyez ensuite quels sont les points-clés de votre prestation et comment les mettre mieux en valeur. C'est le moment de vous dire que marquer le public passe par des trucs. Il faut une originalité.
Dès lors que vous aurez trouvé ces trucs, vous serez plus confiant.